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Prêts garantis par des ressources : dettes viables ou menaces imminentes ?

Pour les pays qui ont un accès limité aux marchés du crédit et des capitaux, les prêts adossés à des ressources sont un moyen de lever des fonds pour des projets d’infrastructure et de développement. Ces prêts sont négociés par des gouvernements ou des entreprises gouvernementales contre la production à venir des ressources naturelles d’un pays.

La viabilité des accords qui en résultent donne lieu à de vifs débats. Le dernier webinaire de l’ITIE intitulé « La transparence compte » a permis d’explorer les possibilités qui se présentent et les défis qui se posent aux pays riches en ressources lorsqu’ils contractent des prêts garantis par ces ressources. Animé par Neil Hume, le rédacteur en chef du Financial Times chargé de la page des ressources naturelles, ce webinaire a donné la possibilité d’explorer divers points de vue, y compris ceux des gouvernements, de la société civile et d’une importante entreprise de commerce qui agit en tant que contrepartie de ces prêts.

Il existe un large consensus quant à la nécessité d’assurer une plus grande transparence des termes de ces accords. Pour poursuivre cet objectif, les gouvernements, le secteur extractif, les entreprises commerciales et la société civile ont travaillé ensemble au sein du Groupe de travail sur la transparence dans le commerce des produits de base de l’ITIE depuis 2015. Le groupe de travail met actuellement la dernière main à de nouvelles directives destinées aux entreprises qui achètent des matières premières venant des gouvernements ou des entreprises d’État – le premier texte d’orientation de ce type pour l’ITIE. Les directives visent à donner de la cohérence à la soumission de rapports et à encourager davantage de sociétés à adopter une approche transparente.

Opportunités : un élan économique ?

Trafigura, l’un des plus grands négociants de matières premières au monde, est devenu l’une des principales entreprises engagées dans des contrats structurés de paiement par anticipation. En 2019, la société a émis pour plus de 5 milliards de dollars de prêts garantis par des ressources. La valeur de ses paiements anticipés a augmenté de plus de 600 % depuis 2012, ce qui témoigne de la popularité croissante de tels contrats.

Selon Christophe Salmon, le directeur des finances de Trafigura, les dispositions régissant les paiements d’avance sont avantageux pour les gouvernements, car elles peuvent fournir aux producteurs un accès à des financements à des conditions beaucoup plus avantageuses que celles qui leur sont imposées directement. Pour certains pays, il arrive que ces prêts soient le seul canal utilisable pour une augmentation des liquidités. Comme ces prêts sont accordés en dollars américains, les prêts garantis par des ressources peuvent être particulièrement attrayants pour les économies de marché émergentes dont les devises sont faibles. Ils peuvent également être utilisés par des entreprises d’État pour financer des dépenses d’investissement ou améliorer les cycles des fonds de roulement.

Exprimant un point de vue gouvernemental, l’Honorable Zainab Ahmed, la ministre ­des Finances et de la Planification du Nigéria, a fait ressortir que bien que le gouvernement nigérian n’ait pas déjà emprunté par le biais de prêts garantis par des ressources, il pourrait envisager cette option afin d’apporter des liquidités à son économie. « Mais nous devons nous assurer que de tels prêts soient soigneusement conçus et structurés », a déclaré Mme Ahmed. « Nous étudions des exemples de la façon dont ils ont fonctionné dans d’autres pays. »  Elle a souligné que, pour répondre à la baisse soudaine des revenus engendrés par la crise de la Covid-19, les contrats de pré-paiement peuvent aider les pays tributaires des ressources à accéder à des fonds pour répondre à des besoins urgents en matière de soins de santé ou de services sociaux.

Les risques : une responsabilité ingérable ?

La volatilité des prix des matières premières représente un défi majeur pour les gouvernements qui s’engagent dans des contrats de paiement anticipé. Pour les contrats fondés sur la valeur plutôt que le volume de produits donnés, les chutes de prix brutales peuvent signifier que les pays devront produire davantage pour rembourser leurs emprunts.

La ministre Ahmed a fait écho à ce sujet de préoccupation. Pour réduire l’impact de la volatilité des prix du pétrole, Mme Ahmed a fait remarquer que ces accords doivent être soutenus par un « mécanisme de désamorçage », par exemple à travers des assurances, des garanties et une ouverture d’esprit quant aux risques qui y sont liés.

Mme Anne Fishman, qui représente le groupe de recherche, de plaidoyer et de campagne Public Eye, a souligné que les paiements anticipés comportent souvent des frais et des taux d’intérêt élevés. Ces dispositions peuvent aggraver le fardeau de la dette des pays pauvres, surtout lorsque les prix des matières premières sont en baisse. Et cela peut priver une population des revenus nécessaires pour l’éducation et la santé. Elle a ajouté que certains pays emprunteurs donnent en garantie des actifs tels que les réserves de ressources. « Cela exacerbe davantage la dépendance envers les créanciers, dont l’accès à la ressource sera garanti », a déclaré Mme Fishman.

« Pour limiter l’accumulation de dettes non viables, il est important que les contrats de prêts comportent des clauses qui garantissent que les emprunteurs sont protégés lorsque se présentent des situations spécifiques, telles que les changements des prix du pétrole ou d’autres circonstances particulières telles que la Covid-19 », a ajouté Mme Fishman.

Elle a aussi souligné que certains prêteurs financiers proposent des solutions de couverture visant à atténuer les risques de volatilité. En périodes de crise – tels que les chutes dans les prix des matières premières de 2015 2020 – les prêteurs devront peut-être renégocier les échéances de remboursement pour maintenir le mode d’arrangement en cours. Un autre risque est celui des déficits de production ou, dans le pire des cas, de l’arrêt total des opérations.

Le rôle de la transparence

Mme Fishman a attiré l’attention sur le fait que l’information sur les prêts garantis par des ressources n’est souvent pas publique : il devient alors difficile de comparer les données et de déterminer si les conditions obtenues représentent un bon accord pour les citoyens. « Il est urgent que le contrôle soit renforcé », a-t-elle déclaré. « La structure de ces prêts peut réellement affecter les revenus publics, de sorte qu’il est essentiel de connaître autant que possible les conditions contractuelles qui ont été convenues ». Elle a lancé un appel en faveur d’une transparence accrue, notamment pour ce qui concerne les taux d’intérêt, les honoraires, les échéances de remboursement et les conditions de restructuration de la dette, ainsi que sur l’identité des parties aux accords.

La ministre Ahmed a souligné que pour réduire les risques de volatilité des prix, la transparence des volumes de production utilisés pour assurer le service du prêt est essentielle. Elle a souligné que si le Nigéria devait rechercher un tel accord, « nous aurons à mettre en place un cadre qui donne de la visibilité aux volumes sortis du sol. » Présent en ligne durant la rencontre, le directeur général de la National Petroleum Corporation du Nigéria s’est engagé à publier les termes d’un récent paiement anticipé pour du pétrole brut d’une valeur d’environ 1 milliard de dollars.

M. Salmon a souligné que Trafigura est déterminé à assurer une transparence accrue dans le secteur des ressources naturelles, et pas seulement sur la question des prêts garantis par des ressources naturelles. Il a toutefois fait remarquer que la transparence de tels contrats dépend également de la volonté de l’emprunteur. Il a ajouté que Trafigura a encouragé davantage de pays à se joindre à l’ITIE, et qu’il invite d’autres entreprises commerciales à « former partie du club », y compris celles se trouvant en Asie.

Mme Fishman a fait remarquer que beaucoup de progrès ont été réalisés ces dernières années. « L’ITIE effectue un travail très important en réunissant tous les parties prenantes et en préparant des directives visant à assurer une transparence accrue dans ce domaine », a-t-elle déclaré.

« Mais de fortes exigences en matière de divulgation ne sont pas suffisantes – nous avons aussi besoin de redevabilité », a ajouté Mme Fishman. Elle a souligné que seules des exigences réglementaires et des obligations de diligence raisonnable applicables aux prêteurs permettent de devenir redevable, ces exigences étant essentielles pour s’assurer que la dette est viable pour les pays.

La série de séminaires sur le thème de « La transparence compte » rassemble des conférenciers de haut niveau venant des gouvernements, de l’industrie, de la société civile, des institutions financières et des partenaires du développement, qui y participent pour discuter et engager des débats sur certaines des questions les plus pressantes qui se posent dans l’espace des industries extractives où règne la transparence. Pour obtenir des informations sur les séminaires passés et à venir, veuillez accéder à eiti.org/events.

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